Page 31 - Annonce Dergi | İzmir Özel Saint-Joseph Fransız Lisesi

LA TSARINE

Huit de trèfle. Quatre de cœur. Deux de carreaux. Six de cœur. Un
jeu peu profitable entre mes mains crispées. Et en face, parée de

cheveux blonds, volumineux ; de mains délicates, ornées d’ongles
peints et aiguisés que j’imagine encore sur mon cou ; et des yeux
verts vicieux, yeux de félins brouillés par des lunettes moites qui
ne reflètent rien d’autre que le miroir aux fantasmes de souvenirs
lointains ; se tient là la femme qui m’a jadis entrainé sous les
tumultes de la mer, où le coup de foudre représente un court-
circuit mortel. Une partie de poker, où mon tour n’arrive jamais

vraiment. Où son sourire en coin aussi séduisant qu’enjôleur
et laqué de ce poison pourpre dont les traces persistent encore
sur mon torse tels des traumatismes, me fait comprendre que
c’est encore son tour, qu’elle a encore le contrôle. Car elle l’a
toujours eu. Depuis qu’elle m’a entraîné dans la valse effrénée
de ses lubies, depuis qu’elle m’a fait goûter au fruit interdit. Une
mémoire partagée dont elle est l’intouchable prédatrice. Cette
partie, cela fait des années qu’on la joue. Ses longs bras d’orties
qui m’avaient autrefois étreint s’emparent des mises d’une main

ferme. C’est l’ultime bataille de cet amour venimeux. Ça brise
le cœur mais pourtant, je ne peux m’empêcher de ressentir une
jubilation insensée à l’idée de voir la Tsarine fatale livrée à ses
jeux de pouvoirs.

Clara Kaysal

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